Quand l'Imaginaire sauve la réalité : Argo.

Argo est un film américain de Ben Affleck (2012) inspiré d'une histoire vraie : en 1979, la révolution iranienne renverse le régime dictatorial du Shah. Ce dernier, atteint d'un cancer, se réfugie aux États-Unis, le pays qui a soutenu des années durant sa dictature. Au mois de novembre, les partisans de Khomeini pénètrent dans l'ambassade américaine de Téhéran et prennent le personnel en otage : ils exigent le retour du Shah dans leur pays afin qu'il soit jugé pour ses crimes. Six membres du corps diplomatique sortent in extremis de l'ambassade américaine et se réfugient dans celle du Canada. Argo raconte comment la CIA est parvenue à exfiltrer ses ressortissants d'un pays en pleine révolution islamique où ils étaient, ainsi que ceux qui leur apportaient leur aide, en danger de mort.

 

Quel rapport avec l'imaginaire ? La clé du film est que le tournage d'un film de science-fiction bidon sert de couverture à l'opération. Tony Mendez (Ben Affleck), responsable de l'opération, réussit à convaincre ses supérieurs de financer la promotion d'un faux film, Argo, afin de rendre crédible l'entreprise. Il s'appuie sur l'aide de John Chambers (interprété par l'énormissime John Goodman), le maquilleur dont le plus célèbre travail fut la confection des maquillages et prothèses de La Planète des Singes. Celui-ci aurait mis au point, d'ailleurs, une trousse de maquillage à l'usage des agents de la CIA (!?), on n'est pas très loin de Mission Impossible (!) Le producteur, Lester Siegel, est quant à lui, un personnage inventé pour le film.

 

Quant au faux film, il s'agit d'un projet authentique, tombé à l'eau : l'adaptation d'un roman de Roger Zelazny, Lord of the Light. Projet ambitieux qui devait même déboucher sur la création d'un parc d'attractions. Afin de développer le visuel du film, combinant technologie et mythologie orientale, le producteur fit appel à Jack Kirby, l'un des auteurs majeurs de l'industrie du comic book (on lui doit la création, au dessin, de Captain America, des Quatre Fantastiques, de Hulk, de Thor etc.) qui réalisa les dessins de préproduction et le story-board. Ces visuels ne sont malheureusement pas utilisés dans le film de ben Affleck. Ainsi, grâce à ce projet abandonné, la CIA put donner de la densité à sa couverture et faire sortir du pays les six diplomates américains qui se firent passer pour une équipe de cinéma canadienne en repérage...

Un des visuels de J. Kirby réalisé pour le film avorté, malheureusement absent du film Argo.

Jim Lee s'est porté acquéreur de cette planche et s'est amusé d'apprendre son "histoire".

(source photo : comicbook.com)

 

 

Si ce film où la fiction sert la réalité est réalisé efficacement (en ouverture, une bande dessinée animée résume l'histoire de l'Iran, en harmonie avec le thème du récit), néanmoins il sacrifie aux impératifs d'une narration dramatique dont les effets sont appuyés : l'opération est annulée au dernier moment et l'agent Mendez décide de passer outre, forçant la main de l'agence qui doit valider les réservations pour ses passagers à l'aéroport de Téhéran au dernier moment ; les Gardiens de la Révolution sont soupçonneux juste le temps qu'il faut pour retarder l'embarquement des exfiltrés mais les laissent finalement partir, convaincus par un coup de téléphone qui confirme la fausse identité des diplomates, la communication est établie in extremis ; la photo passée à la déchiqueteuse de l'ambassade américaine d'un des évadés est reconstituée et transmise au dernier moment, dévoilant la supercherie ; les véhicules de la police de l'aéroport se lancent sur le tarmac alors que l'avion est en phase de décollage... Tous ces éléments accumulés sont destinés à entretenir le suspens, un film n'est pas un documentaire...

Tony Mendez (Ben Affleck) au cœur de l'Iran en pleine révolution... Sous la main de l'ayatollah Khomeini...

(source photo : The Guardian.)

 

Par ailleurs, Argo a suscité certaines réactions de la part du gouvernement canadien qui estime qu'on a minimisé le rôle joué par le personnel de son ambassade (et les risques qui ont été pris), par exemple, les faux papiers réalisés par la CIA pour les diplomates étaient de grossières contrefaçons qui n'auraient pas fait illusion et c'est l'ambassade canadienne qui a refait les documents, de plus les Canadiens ont fustigé "l'amateurisme" des agents de la CIA, apparemment déconnectés de la réalité du terrain... En outre, le camp iranien n'était pas aussi monolithique que le montre le film et les Américains auraient bénéficié du soutien de dignitaires du régime iranien qui désapprouvaient les initiatives de la frange radicale des révolutionnaires. La réalité est souvent plus complexe qu'il n'y paraît.

 

La prise d'otages de Téhéran a duré 444 jours. Elle a coûté sa réélection au Président Jimmy Carter. L'option militaire aurait été envisagée pour libérer les otages mais l'opération aurait tourné court. L'élection de Ronald Reagan a marqué un tournant radical dans la politique extérieure des États-Unis. L'opération Argo, pour la réussite de laquelle Antonio Mendez fut décoré, n'a été révélée qu'en 1993, sous l'administration Clinton.


Enfin, lorsque George Lucas réalisa Le Retour du Jedi, au début des années 80, il se servit lui aussi de la couverture d'un faux film (Blue Harvest) pour pouvoir travailler à l’abri des hordes de fans qui auraient perturbé le tournage. Mais ça, c'est une autre histoire...

Franck Zaïtchick Jammes

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